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CAMPAGNE ARMEE du RHIN 1870 par JEAN MIRAULT

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Le Carnet de Jean Mirault
Souvenirs d'un soldat de l'Armée du Rhin
(Juillet 1870 - Juin 1871)

Par Jean Renard et Jean-François Lecaillon

NOTES sur la CAMPAGNE de l'ARMÉE du RHIN 1870
par JEAN MIRAULT


Parti de Paris le 17 juillet 1870 pour la campagne. Arrivé à Metz le 19 au polygone ou nous avons campé pendant une huitaine de jour sur le bord de la Moselle.
De là nous partons pour aller dans un endroit appelé "les Etangs"
Arrivant là, on nous fait camper dans une prairie tout proche d'un moulin et il était temps d'arriver car nous étions déjà bien fatigués.
Alors on donne ordre de faire la soupe et malheureusement pour nous, nous ne pouvions rien faire. Dans mon escouade, nous avions perdu notre lard.
Voilà ce que nous avons fait : nous sommes allés tous au moulin dont j'ai déjà parlé. Là, nous avons acheté quelque chose pour faire à manger et les habitants de la maison qui étaient assez affables, nous ont fait part de leur soupe qui était prête à manger. Alors, nous soupons donc au moulin.
Ensuite, nous demandons un lieu pour coucher. On nous conduit dans un grenier.
Là, nous avions de la paille à volonté.

Le lendemain matin, on part à 9 heures pour aller à Boulet (Boulay Moselle), une étape plus loin.
Là, nous campons de nouveau dans un vallon.
Dans cette position, nous y restons deux jours.
Alors, on lève le camp et nous allons camper à un kilomètre de là, sur une hauteur qui domine la ville.
Nous y restons encore quelques jours.

Nous quittons donc Boulet toujours en se dirigeant vers la frontière. Nous arrivons dans un petit endroit appelé Téteres (Teterchen?). Dans cet endroit, nous campons sur une hauteur, à côté d'un bois.
Dans ce petit endroit, le vin est pas encore trop cher, on pouvait en boire. Nous y avons resté deux jours.

Puis nous partons pour St Avold, une étape bien longue et il faisait très chaud. A peu près à deux kilomètres avant que d'arriver, nous sommes surpris par un orage qui nous a esquinté. Alors nous voilà donc arrivé, trempés comme des soupes, pour camper sur la terre mouillée. Nous campons et après il faut faire à manger car on a grand faim. Alors, on s'empresse de faire un peu de café en attendant la soupe.
Les uns vont au bois, les autres vont chercher de l'eau. Ensuite on va chercher quelque chose pour faire son lit pour ne pas être tant dans l'humidité : chercher des branches ou bien de l'herbe.
A St Avold, nous y avons resté quelques jours.

De St Avold, nous repartons pour aller à Pudelange (Puttelange-aux-Lacs), petit endroit pas bien loin de la frontière.
Arrivés là, nous campons tout proche du village. Le monde, dans cet endroit, ne parle guère français.
Le 6 août, le lendemain que nous sommes arrivés là, nous étions allés à la rivière, plusieurs camarades, pour blanchir nos chemises, tout d'un coup, le canon se fait entendre. C'était à peu près sur les une heure de l'après-midi. Alors, on sonne l'ordre pour faire les sacs, se tenir prêt à partir, et nous partons bien vite rejoindre notre camp, et en même temps, on sonne la marche de la division et nous voilà en marche.
Mais nous prenons une fausse position arrivés à peu près à 7 kilomètres du côté opposé. On nous fait placer en ligne de bataille, l'artillerie en avant, et nous restons là pendant quelque temps. Le canon cesse et on nous fait faire demi-tour et nous retournons à notre camp.
Mais nous sommes pas arrivés qu'on entend encore le bruit du canon. Alors nous prenons une autre position. On nous dirige sur Forbach à 20 kilomètres de là.

Nous arrivons donc à Forbach mais il était trop tard, la bataille était finie.
Nous sommes arrivés à 9 heures du soir après avoir fait une marche forcée. On a été au pas de course.
Arrivant là, nous trouvons des soldats blessés de toutes manières, des habitants qui abandonnaient leurs chaumières emportant leurs bagages.
C'était bien triste, le feu qui était dans le village.
Alors nous bivouaquons jusqu'à deux heures du matin et ensuite on nous fait faire demi-tour et nous retournons à Pudelange (Puttelange), camp habituel.

Arrivé là, on donne ordre bien vite de faire la soupe et il était grandement temps car on avait bien besoin.
Il y avait bien 24 heures que nous n'avions pas mangé.
La soupe mangée, nous voilà parti, en nous repliant du côté de Metz.

Nous arrivons dans une grande plaine, sur une hauteur. Là, on nous forme en ligne de bataille.
Nous restons là, dans cette position, tout le reste de la journée, le sac au dos.
L'ennemi n'était cependant pas bien loin de nous car on distinguait leur poste avancé : L'église de Puttelange-aux-Lacs.
Alors rien, de nouveau on donne ordre de faire la soupe.
Dans mon escouade, nous n'avions qu'un peu de riz que nous avons fait cuire et nous n'avons pas campé dans cet endroit-là, nous avons bivouaqué.
Le lendemain matin, avant le jour, on fait le café. Le café pris, on se met en route. Nous nous dirigeons sur St Avold.

Arrivés à St Avold ou nous devons nous arrêter pour prendre un peu de repos, mais au contraire on nous presse la marche à cause que l'ennemi est pas bien loin de là. Mais ou irons-nous aujourd'hui ? L'étape sera bien longue.
Voilà que nous arrivons dans une grande plaine. Là nous ferons une halte. Nous avons deux heures de repos.
Dans ce camp-là, nous avons mille misères pour trouver de l'eau pour faire notre café.
Enfin, nous voilà donc repartis.

Après avoir fait beaucoup de chemin, nous arrivons dans un petit endroit dont je ne saurais dire le nom.
Là, tout le corps d'armée est réuni et la garde qui est avec nous.
Il fait un temps abominable. La pluie tombe averse.
Ma compagnie se trouve de grande garde et il était nuit. C'est une grande garde que je m'en souviendrai longtemps.
Comme nous étions de grande garde, les grandes gardes ne campent pas et alors nous avons passé la nuit à la pluie.
Moi qui a été un des premiers en faction, quand je suis descendu de faction, j'avais pas un fil de sec sur le dos.
Comment faire pour passer la nuit ? La pluie qui tombait toujours ! Voilà ce que nous faisons :
Nous prenons nos toiles de tente et nous les avons mises sur notre dos en nous accroupissant les uns contre les autres, à tramé de froid toute la nuit.
Et nous n'avons pas pu faire à manger à cause que l'ennemi aurait pu distinguer nos feux.
Le jour arrive, pas fâchés que nous étions ! On fait la soupe et il était grandement temps car il y avait plus de trois jours que n'avions pas mangé.
Dans la matinée, vers les 9 heures, nous entendons une fusillade.

C'est nos postes avancés qui tirent sur des vedettes prussiennes.
Alors vers 10 heures, on sonne la marche de la division et on quitte cette malheureuse position, toujours en nous dirigeant sur Metz, toujours en passant à travers les champs.
Les habitants qui nous voyaient replier sur Metz en étaient tout étonnés de nous voir.
Enfin nous arrivons dans un endroit que nous étions mieux.
Là, nous montons nos tentes et nous nous préparons à faire notre soupe et ensuite on va chercher de l'avoine qui était encore verte pour faire notre lit.
Là, nous étions encore pas trop mal car on nous a donné l'ordre de prendre des pommes de terre.
Le lendemain, on lève le camp à deux heures du matin. On fait le café et on part de nouveau.

Nous arrivons dans un petit endroit pas bien loin de là. Là, il n'y fait pas bien bon. La cavalerie a déjà campé dans cet endroit ce qui fait que nous avons de la boue jusqu'à la cheville.
Enfin, nous y restons qu'une nuit et nous repartons à Borni (Borny), village à 6 km de Metz et comme la pluie a tant tombé que nous avons bien de la peine à nous sortir des terres.

Alors nous arrivons à Borni (Borny) avec misère. Ma compagnie se trouve de grande garde ce jour-là et le lendemain au soir, on lève le camp. Nous allons peut-être à deux kilomètres de là. Nous sommes pas bien loin de Metz.
Alors nous campons et comme il fait toujours guère bon à se coucher sur la terre, nous allons sur la route de Metz. Nous montons sur les peupliers et nous cassons les branches pour mettre sous nous.
Dans ce camp, nous y restons jusqu'au 14 août au soir que l'on a livré un grand combat.
Ce jour-là, le matin sur les 8 heures, on ordre de lever le camp et faire les sacs en attendant des autres ordres.
Et nous sommes restés là, soyer (assis) sur nos sacs, jusqu'à deux heures après-midi attendant l'ordre de partir.
Sur les 3 heures, on reçoit l'ordre de partir et en même temps, on sonne la marche de la division et nous voilà en marche.
Mais où irons-nous ?
Nous n'irons peut-être pas plus loin que Metz.

Nous avons pas fait 300 pas quand tout d'un coup, un coup de canon se fait entendre sur la droite. C'est l'ennemi qui nous attaque, alors on nous fait faire demi-tour et face à l'ennemi.
Et, dans peu de temps, c'est un combat bien acharné d'un bout à l'autre de la ligne de bataille.
Cette bataille a duré jusqu'à 9 heures du soir.
Ensuite nous nous replions sur Metz, pas bien loin de là que nous avons bivouaqué le reste de la nuit.
A 3 heures du matin, on fait le café. Il était temps de prendre quelque chose car on avait grand besoin.
Dans cette bataille, mon régiment a perdu 360 hommes, morts ou blessés.
De là, nous allons camper contre le polygone.
Là, on nous fait une distribution de pain et de biscuits. De là nous partons le même jour, le soir à 4 heures, et nous avons campé au fort de Saint-Quentin jusqu'à 3 heures du matin, le 16, que nous sommes repartis pour aller à Gravelotte que l'on a livré un grand combat.

Nous voilà donc arrivé à Gravelotte. Nous campons et en même temps, on fait la soupe.
Nous avons pas eu le temps de la faire. Voilà que l'on entend le canon gronder et ensuite, on reçoit l'ordre de partir. Alors, pas de soupe !
Voilà ce que nous avons fait : nous avons retiré notre viande de la marmite qui était à moitié cuite et nous avons jeté le bouillon par terre, et on se met en route.
Nous arrivons sur le champ de bataille.
Notre corps d'armée a été en réserve presque toute la journée, excepté le soir que nous sommes passés en première ligne.
On nous place en ligne de bataille et 3 compagnies de mon régiment ont été déployées en tirailleur.
On nous fait coucher par terre, à plat ventre, à cause des bombes qui tombaient sur nous.
Le feu cesse et nous restons là toute la nuit, à bivouaquer contre les morts sur le champ de bataille.
Le lendemain matin, le 17 août, nous partons à la pointe du jour pour aller à St Privat.

Bataille de Mars-la-Tour (Rezonville)
Arrivé là, nous campons de nouveau et nous restons là jusqu'au lendemain le 18 que l'on a livré une grande bataille à St-Privat.
La bataille a commencé à 10 heures du matin. Elle a fini à 11 heures du soir.
Dans cette bataille, nous étions pour soutenir une retraite ousque l'ennemi devrait passer. Et nous sommes restés là toute la journée, le sac sur le dos, et les bombes qui sifflaient au-dessus de nos têtes et quelques-unes qui tombaient sur nous.
Ce jour-là, nous avons pas vu beaucoup de Prussiens, seulement quelques tirailleurs qui avançaient de notre côté, car le bois nous cachait et ils nous voyaient pas.
Ce qui fait qui sont venus tout contre nous mais nous lui avons fait leur affaire !
Enfin, voilà la nuit qui approche mais le feu ne cesse pas et jusqu'à 11 heures, sans discontinuer. Et même toute la nuit, c'était que fusillade partout.
Alors, nous restons donc passer la nuit dans cette bataille.
Mon régiment a pas fait beaucoup de perte. Nous avons perdu quelques hommes, tués par les bombes.
Alors, nous quittons la position et nous allons aux Sablons que nous avons reposé un peu.
On fait un peu de café et nous sommes repartis que nous avons passé dans un petit village ou il y avait des convois prussiens que nous lui avions pris la veille, dans lesquels il y avait du vin et du lard en abondance.
Comme nous passions là, alors on fait monter quelques camarades sur les voitures.
On défonce les tonneaux et en même temps, on fait la distribution.
Dans mon escouade, nous avions au moins, pour notre part, 6 kilos de lard. Il nous fallait bien cela, car il y avait longtemps que l'on souffrait de la faim.

Après cela, nous arrivons au fort de Saint-Quentin. Là, nous restons 3 jours.

Après, nous partons pour aller à Montigny, petit endroit pas bien loin de la ville de Metz. Dans cet endroit, on nous fait travailler pour faire des tranchées et nous y restons 4 jours.


La Bataille du Cimetière de St Privat
En quittant cette position, nous allons à Borni (Borny) ou l'on nous fait camper contre une ferme.
On nous donne ordre d'aller dans cette ferme chercher de la paille pour faire notre lit et on s'empresse de faire la soupe.
La soupe mangée, il fait nuit, voilà que l'on sonne la marche de la division et alors il faut décamper de nouveau et se mettre en marche.
Nous allons peut-être à 3 kilomètres, tout proche du fort Queuleux (Qeuleu).
Arrivant là, la pluie tombe averse. Il faut camper de nouveau dans la boue.
Et nous restons là jusqu'au 31 août au matin que nous sommes partis pour aller dans les plaines de Borni (Borny).
Nous arrivons là à 8 heures du matin.
A cette bataille, nous étions en réserve.
La journée finie, nous restons là, à côté du champ de bataille pour passer la nuit.
Alors, le 1er septembre, nous prenons le café de bon matin et nous sommes partis pour aller à Griji (Grigy) ou nous sommes arrivés à 7 heures du matin. A cette bataille, notre corps d'armée était en première ligne.
Ma compagnie a été en tirailleur toute la journée sur le bord d'un bois. Là, nous étions tout proche des Prussiens.
On les voyait dans leurs tranchées et nous tirions dessus. Nous étions bien exposés au danger mais le bois nous maintenait.
La bataille terminée, les pertes ne sont pas considérables : 3 hommes de blessé dans ma compagnie et un de disparu.
Cette bataille a pas duré excessivement longtemps de 9 heures du matin jusqu'à 1 heure de l'après-midi.
Alors le même jour, nous quittons les positions et nous nous replions contre le fort de Queuleux et nous avons resté là que le 3 septembre on a commencé à nous faire manger du cheval et en même temps à nous réduire à 500 grammes de pain, puis ensuite à 300 grammes, à 200 grammes et à 100 grammes, et puis, pas de sel : Obligés de faire la soupe sans sel !
Ce que nous avons eu de bon, c'est le peu de café qu'on nous donnait. Encore nous sommes été un moment à le prendre sans sucre !
Enfin, je ne peux pas tout raconter la misère que nous avons eue, je n'en dis que le quart.
Et bien, nous sommes restés dans cette malheureuse position pendant deux mois et cette chose là à fait périr bien des hommes.
Nous sommes donc restés là jusqu'au 29 octobre que nous sommes été faits prisonniers de guerre.

Le 29 octobre, à midi, nous quittons le camp avec nos effets, sac et campement, pour nous diriger vers le camp ennemi.
Il faisait un temps sombre et pluvieux. Le ciel semblait être de la tristesse que nous avions dans nos cœurs et avoir peine à retenir les pleurs que nous ne voulions pas laisser déborder.
Le lieutenant-colonel conduisait le régiment. Chaque bataillon avait à sa tête son chef de bataillon.
Il y avait un capitaine pour 2 compagnies et un lieutenant par compagnie.
A quatre kilomètres du camp, nous allons rencontrer les avant-postes prussiens et c’est là que nous allons les quitter.
Là, nous ne nous appartiendrons plus. Nous serons aux mains de nos ennemis, de ceux que naguère encore nous avons combattus et à qui maintenant nous allons demander à manger et de quoi nous loger.
Quelle triste marche que celle-là ! Avec quelle peine ne recevons nous pas les adieux de nos officiers, de ces braves soldats qui nous ont donné tant de preuves de leur dévouement à la patrie.
Quel serrement de cœur lorsque, au dernier moment, notre capitaine vient nous faire ses adieux et serrer la main aux plus anciens de la compagnie !
Mais ce n’est pas encore là qu’était le plus terrible moment.

Arrivé à la limite de notre camp, à l'entrée du camp prussien, nous trouvons des officiers à cheval qui nous attendaient et devant lesquels nous devions défiler. Une route les sépare de nous.
Notre lieutenant-colonel reste en deçà et l'officier ennemi qui nous reçoit, est placé au-delà.
Le colonel s'est placé de manière que chaque soldat qui passe puisse lui serrer la main. Il a les larmes aux yeux.
C'est là le moment le plus pénible.
Pour nous enfin, le pas est fait.
Nous sommes dans le camp prussien.
De chaque côté de la route que nous suivons, sont échelonnées des troupes sous les armes qui forment la haie et entre lesquelles nous défilons.
Nous passons sur le champ de bataille du 14 août, à l'endroit ou sont tombés tant de nos braves camarades.
En passant, comme si un signal eut été donné, chaque soldat se découvre et salue d'un élan unanime le lieu où reposent les martyrs de la patrie.
On avance lentement, bien lentement. La route est encombrée. Il y a tant de prisonniers que nous (mettons) bien 1 heure à faire 500 mètres.
Je n'avais pas mangé depuis la veille et sans savoir quand je mangerai.
Il est 8 heures du soir et qui sait ou l'on s'arrêtera.
J'ai encore 50 centimes dans ma poche. En passant près d'une voiture prussienne, je m'approche et je demande de la broute (sic.)
On me donne un pain qui pesait près de 2 livres pour mes dix sous.
Je peux dire que l'on m'aurait donner 20 francs, je ne serais pas été plus heureux et cependant, on me l'avait pas donné car je l'avais bien payé.
A 10 heures du soir, nous arrivons dans un camp. On ne voit pas clair. Nous sommes dans la boue et c'est là que nous devons camper.
Nous dressons une tente de six hommes et nous sommes dix. Nous serons plus serrés ; nous aurons plus chaud.
Du 30 au 1er novembre, rien de nouveau mais seulement dire les souffrances que nous endurons m'est une chose impossible.
Il pleut. Les nuits sont froides et nous sommes campés dans un terrain gras et plein d'eau.
Nous souffrons réellement plus du froid et de l'humidité que nous n'avons jamais souffert.
Il est presque impossible de faire à manger à cause de la nature du terrain et de la violence du vent et de la pluie.
Nous avons voulu faire de café avec l'eau que nous avons amassée dans les fossés, faute d'autre.
On aurait dit du café au lait.
Ce que nous pouvons manger c'est du pain, et quel pain ! Et du lard salé.
Ce qui m'a fait le plus de peine, c'est un officier prussien qui m'a dit en bon français : « Eh bien ! Chantez donc la Reine Hortense ou partir pour la Syrie ! »
Nous avons resté 3 jours et 3 nuits dans ce camp que nous avons surnommé le camp de la boue ou le camp de la misère.
A 9 heures du matin, on appelle le régiment.
Nous allons quitter ce campement pour nous rapprocher de la frontière. Le terrain que nous sommes campés est du moins un peu plus sain que celui que nous venons de quitter.
Il fait froid mais sec et nous n'avons pas de boue, c'est beaucoup.
Le 3 novembre à 7 heures du matin, en route. Arrivé à 3 kilomètres de Teterchen, on recampe.
C'est pour jusqu'à demain mais la nuit il fait un froid à ne pas pouvoir durer !
Sous les tentes, nous faisons du feu toute la nuit et l'effet de la fumée a fait que le lendemain, pour me remettre en route, je ne voyais plus, tellement que mes yeux avaient soufferts de la fumée.
Nous allons passer la frontière et passer en Prusse.
Nous nous dirigeons sur Saarlouis ou nous devons prendre le chemin de fer.
A Saarlouis, on parle français. Le pays est presque français et si ce n'étaient des uniformes prussiens, on pourrait se croire dans la patrie.
Un petit régal nous attendait à l'entrée de la ville. On distribue des petits pois et du lard à tout le monde.
On dit que nous allons prendre le chemin de fer ce soir.
A 2 heures, nous prenons le chemin de la gare mais tel est l'encombrement que nous ne pouvons arriver à l'entrée qu'à 7 heures du soir et il y a seulement 1 kilomètre de fait.
Nous restons le sac au dos jusqu'à 10 heures du soir. A ce moment, on nous dit que nous ne partirons que demain, à 9 heures du matin.
Nous allons bivouaquer. Notre campement est à peu près hors d'état de service car il n'a pu être renouvelé.

Les tentes sont pourries ou déchirées et beaucoup de soldats ont perdu le peu qu'il leur restait.
Enfin, nous prenons le train à midi.
Nous sommes parqués dans les wagons à charbon. Nous étions 50 par wagon.
La première gare en partant de Saarlouis est Dillingen.
Après avoir dépassé cette station, nous entrons dans une grande plaine, couverte de prairies.
Au milieu serpente la Sare Bectringen (Beckingen). La ligne court dans de profondes tranchées creusées dans le roc, un roc rouge qui paraît être du granit. La vallée se creuse de plus en plus : au fond, le chemin de fer et la Sarre remplissant l'espace plane, de chaque côté, des rochers énormes entre lesquels poussent péniblement quelques arbres chétifs et maigres.
Le spectacle n'est cependant rien moins qu'imposant.
Cette force énorme que l'on nomme vapeur paraît à chaque instant sur le point de s'échouer contre cette autre grande force qui s'appelle la nature et dont le génie de l'homme a triomphé par son énergie.
A un (des) nombreux détours que fait la ligne vient nous surprendre une petite plaine.
Enfin, dans ces rochers et ces bois, pendant cinq minutes nous marchons dans une végétation magnifique puis, sans transition, nous sommes tristement replongés dans les bois et les rochers : ni village, ni hameau ; de temps en temps, une cabane de bûcheron qui laisse échapper une mince colonne de fumée à travers son toit de mousse ou un charbonnier qui parcourt seul et silencieux son sombre domaine.
En face de nous se dresse une roche immense au sommet et sur les bords de l'abîme est élevée une chapelle dont l'humble flèche sombre s'élance encore plus près du ciel : L'asile de la paix et de la prière en combat continuel avec la nature et de louragant(sic) image de la vie.
Au-dessous, à quelques cinq cent pieds, dans le fond de la vallée, un village : c'est le premier ! Depuis il y a au moins 30 ou 40 kilomètres que nous n'avons pas vu de villages.
Nous arrivons à Beurig Sarburg (Beuren Saarburg?). A partir de cet endroit, la vallée s'élargit et devient de plus en plus cultivée. Sarburg (Saarburg) est une petite ville que le chemin de fer coupe en deux parties.
Dans celle qui se trouve à notre gauche, on voit les ruines d'un château fort, bâti là comme un nid d'aigle par quelque châtelain du Moyen-âge et dont le temps et les guerres ont eu raison.
De Beury (Beuren) à Viltengen (Wiltingen), la plaine est large et bien cultivée et forme un contraste agréable à l'oil avec les montagnes et les bois que nous venons de traverser.
Conz-Trèves (Konz-Trier) où nous séjournons une heure pour repartir à pied.
Il était 4 heures du soir quand nous quittons la gare de Trèves pour nous diriger à travers les bois et les vallées, Dieu sait ou.
A chaque instant, nous nous croyons sur le point d'être arrivé car les renseignements que nous avions ne nous indiquaient qu'une distance de 2 à 3 lieues et à 2 heures du matin, nous marchions encore.
La moitié du détachement est resté en arrière. Beaucoup n'ont pu suivre, car les malades étaient très nombreux.
Pour nous remettre de nos fatigues, le commandant prussien nous dit que nous allons être logés dans les maisons et que nous ne camperons plus. Dieu soit loué ! Mais il faudra repartir demain à 9 heures du matin.

Nous sommes logés, 14, chez un brave paysan qui (nous) donne à manger en arrivant et nous fait coucher sur la paille, c'est vrai, mais au moins à l'abri. Nous le remercions sincèrement et s'il est vrai que Dieu tienne compte d'un verre d'eau donné en son nom, je le prie de le récompenser comme il le mérite.
Je vais donc passer une bonne nuit.
Le 6 novembre au matin, au moment de partir, contrordre. Aujourd'hui, repos. Nous restons encore toute la journée.
Le bon paysan qui nous a donné asile pour la nuit, il nous donne pour nourriture des pommes de terre, des pommes cuites et du fromage blanc ; pour boisson du café noir avec un peu de lait ; pour quant au pain, on ne le connaît pas.
La journée que nous allons passer va nous remettre à peu près de nos fatigues.

A 7 heures du matin, on se met en route. Nous arrivons auprès d'une fabrique à en juger (par) l'énorme cheminée qui fait partie du bâtiment. Nous sommes casés sous des hangars et c'est là que nous devons passer la nuit.
Les gens du village nous apportent eux-mêmes à manger : des pommes de terre, du riz et du lard.
A 8 heures du matin, on se prépare à partir. L'on marche toute la journée dans les bois et les rochers.
Enfin, à 4 heures du soir, nous arrivons à Geraletein. C'est là que nous devons prendre le chemin de fer. A 7 heures du soir, nous sommes embarqués (dans) des wagons faits pour conduire les chevaux. Il n'y a que de petites ouvertures.
Encore sont-elles grillées (sic) ce qui fait que nous ne voyons pas ou l'on nous conduit.
Nous marchons 3 jours et 4 nuits sans nous arrêter, excepté dans les gares qu'on nous a fait descendre pour prendre quelque repas.
Enfin nous arrivons à 11 heures du soir à Colberg (Kolberg/ Kolobrzeg), le lieu de notre séjour en Prusse, ville située sur les bords de la mer Baltique, dans la Poméranie.
Notre captivité ici sera bien triste.
Nous ne pouvons pas sortir de la caserne qui nous sert de prison : aucun travail, aucune espèce de solde.
Tout ici est d'un bon marché étonnant, mais comment se procurer quelque douceur, surtout du pain car celui qu'on nous donne ne vaut rien et cela n'est pas suffisant.
Ce qu'on nous donne pour 4 jours, on le mange facilement en 2 jours et comment peut-on faire quand on a pas d'argent !
On nous a dit que nous pouvions écrire à nos parents et leur demander un peu d'argent, que nos lettres leur parviendraient.
Je l'ai fait autant pour donner de mes nouvelles que pour demander quelque secours, puisse-t-on bientôt me répondre !
Il y a deux jours on nous a conduit 150 hommes sur le bord de la mer, charrier du sable, piocher, niveler une grande place dont ils ont l'air de vouloir faire un champ de manoeuvre.
Nous étions gardés par un cordon de sentinelles dont les armes sont chargées. A la première résistance, elles ont ordre de faire feu sur nous.
Je veux donner un petit détail sur notre nourriture :
Le matin, nous avons une espèce de café. Je dis une espèce de café car ça n'a jamais été du café.
C'est de l'eau sale où il n'y a pas de sucre et qui n'a aucun goût.
A midi, nous avons soit des choux-raves, ceux que les vaches ont bien de la peine à ronger, et des pommes de terre, un autre jour, des pommes de terre avec de l'orge ou du riz ou bien encore des pommes de terre avec des petits pois.
Je veux faire observer que toutes ces légumes, lorsqu'elles sont cuites, il n'en reste pas : ce n'est que de l'eau.
Le soir, à 9 heures, nous avons encore un potage, de la farine détrempée dans de l'eau ou du son détrempé, la même chose ou bien encore de l'eau de riz.
Voilà, en quelques mots le détail de notre nourriture de chaque jour. Avec cela, nous touchons une boule de pain pour 4 jours.
Mais il ne faut pas beaucoup y toucher pour que j'en ai encore le 3ème, malgré qu'il soit pas mangeable.
Je voudrais bien en avoir assez.
Nous avons appris par les Prussiens la capitulation de Paris, ainsi que la suspension d'armes.
En ce moment, nous attendons la signature de la paix ou la continuation de la guerre.
Des deux choses, je n'en ai qu'une à souhaiter et sur la paix, et si la guerre continue, je voudrais que l'on ferait un échange de prisonniers et que je m'en trouverais du nombre.

Jean Mirault, transcrit par Jean Renard (2005).

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